Sagas et Eddas : la littérature médiévale islandaise a sauvé les mythes vikings

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L'Islande a été au Moyen-Age un très important foyer de littérature. Entre le XIIe et le XIVe siècle, une véritable frénésie d'écriture s'est emparée des lettrés de l'île qui ont couché sur parchemins d'innombrables histoires, et ce dans des genres différents. On trouve des traductions de textes venus du continent, des hagiographies, des commentaires théologiques, des essais aussi, comme l'Íslendingabók (Livre des Islandais) du prêtre Ari Þorgilsson dit le Savant (vers 1067–1148), ou encore le Landnámabók (Livre de la Colonisation) qui relatent tous deux l'histoire de la colonisation islandaise et des migrants venus de Scandinavie ou des îles britanniques.

Le genre dominant est pourtant celui des sagas, la plupart anonymes. Elles sont nombreuses et souvent de longueurs variables, mais ont une caractéristique importante en commun : leur style d'écriture. Dans une langue allant toujours à l'essentiel, c'est-à-dire qui ne s'embarrasse jamais de fioritures stylistiques, les sagas – du verbe segja « dire, raconter » en vieux norrois – illustrent en effet le destin de personnages historiques, ou semi-légendaires, jugés dignes d'intérêt, et aptes à instruire leurs lecteurs ou ceux qui en recevaient la lecture. Plusieurs types de sagas ont été circonscrits par les historiens et les philologues, telles les Sagas des Rois, ou les Sagas des Contemporains, pour n'en mentionner que deux ici. Certaines sont mêmes considérées aujourd'hui comme de véritables chef-d’œuvre de la littérature mondiale, comme la Saga de Njáll le Brûlé (en islandais : Brennu-Njálls saga), sans doute la plus fameuse d'entre elles.

La littérature islandaise médiévale a encore légué de très riches recueils donnant à lire les anciens mythes nordiques, par retranscription à l'écrit de récits qui relevaient plutôt de la tradition orale. Le terme « Edda » désigne précisément ces compilations qui peuvent être de genre poétique ou bien rédigées en prose. S'agissant justement de ce dernier type, l'auteur est bien connu. Il s'agit de Snorri Sturluson (1179–1241) un intellectuel et homme de lettres, issu de l'une des plus grandes familles d'Islande, les Sturlungar, mais dont l'implication personnelle dans les troubles affaires politiques de son temps a mené à son assassinat. Grâce aux Edda, et malgré la christianisation, bon nombre des mythes de l'Europe du Nord ont pu échapper à l'oubli, avec pour conséquence qu'aujourd'hui, les exploits de Thor ou les manigances de Loki sont populaires et apparaissent plus régulièrement au cinéma et à la télévision que les aventures d'Hercule ou de Jason. Dans l'esprit des plus jeunes, les dieux vikings concurrencent désormais les dieux de l'Olympe, plus classiques.

Un dernier point essentiel doit encore être signalé ici. A ce premier miracle d'effervescence de production littéraire s'ajoute celui de la préservation de ces textes à travers les siècles. Malgré la fragilité de leur support, et dans des contextes politique, économique, climatique, volcanique, difficiles, ils ont tenu bon et ont pu être collectés par des savants les ayant tirés de l'oubli à l'époque moderne ; des hommes comme comme Brynjólfur Sveinsson (1605–1675) ou Árni Magnússon (1663-1730). Ainsi rendue possible, l'étude de ces manuscrits nous enseigne que la littérature islandaise du Moyen-Age, à l'instar des romans courtois, des chansons de geste, n'emploie pas le latin, mais une langue vernaculaire, la langue du pays, l'islandais. On comprend alors pourquoi cette littérature insulaire a dû attendre longtemps avant de trouver un écho sur le continent, car, si par le plus grand des hasards un livre islandais parvenait jusqu'entre les mains d'un lettré de France, d'Allemagne ou du Danemark, fallait-il encore que ce dernier, pour le comprendre, parlât islandais. Régis Boyer, le traducteur en français des sagas dans la prestigieuse bibliothèque de la Pléiade, notamment, clamait ainsi que si Snorri Sturluson avait rédigé son œuvre dans une langue plus commune que l'islandais, par exemple en latin qu'il maîtrisait, son aura aurait sans doute été égale à celle d'un Dante ou d'un Montaigne. Mais d'un autre côté, le passage précoce à l'écrit de l'islandais, et la conservation durant des siècles des manuscrits, ont contribué, avec l'isolement des Islandais en Atlantique Nord, à sauvegarder leur langue ; cette langue islandaise moderne que les linguistes considèrent comme étant très proche de celle utilisée par leurs ancêtres vikings.


Votre conférencier :

Après une formation universitaire en histoire et en socio-anthropologie, Arnaud Hédouin se consacre à l'activité de guide-conférencier. À ce titre, il accompagne des groupes à l'étranger depuis plus de vingt ans avec l'ambition de faire découvrir l'histoire, la culture mais aussi les structures sociales des pays visités.


Les dates à retenir :

IXème – Xème siècle : colonisation de l'Islande.

930-1262 : état libre islandais.

Le prêtre Ari Þorgilsson (1067-1148) rédige le Livre des Islandais (Íslendingabók) consacré à la colonisation de l'île.

Fin XIIème siècle début XIVème siècle : rédaction des principales sagas en Islande.

Snorri Sturluson (1179-1241) entame la rédaction de son Edda en prose après 1220.

Milieu XIIIème siècle : parution de l'Edda poétique, recueil de poèmes, probablement composés entre le VIIIe et le XIIIe siècle, compilant les récits mythologiques nordiques.

1262 : domination norvégienne et perte indépendance islandaise jusqu'en 1944

Brynjólfur Sveinsson (1605-1675) entre en possession des manuscrits Codex Regius et Codex Uppsaliensis, contenant respectivement les Eddas poétique et de Snorri, puis les expédie sur le continent.

Árni Magnússon (1663-1730) collecte les manuscrits islandais éparpillés dans l'île.


À lire pour aller plus loin :

L'Edda. Récits de mythologie nordique par Snorri Sturluson (traduit du vieil islandais, introduit et annoté par François-Xavier Dillmann), Gallimard, 1991.

L'Edda poétique (textes présentés et traduits par Régis Boyer), Fayard, Paris, 1992.

Régis Boyer, Les sagas islandaises, Payot, Paris, 1978.

Torfi Tulinius, Les Sagas islandaises : enjeux et perspectives, Éditions du Collège de France, Paris, 2023.

Patrick Guelpa, Dieux et mythes nordiques, Éditions du Septentrion, Villeneuve d'Ascq, 2009.