Géopolitique du Grand Siècle

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« J’ai trop aimé la guerre » : cet aveu, prononcé par un Louis XIV sur le point de rendre l’âme, semble sceller pour la postérité l’image d’un souverain belliqueux et agressif. Sur les 72 ans de son règne, la France n’a-t-elle pas connu plus de cinquante années de conflit ?

Pour ses détracteurs, la cause est entendue. Le Roi-Soleil, perturbateur du repos de toute l’Europe, aurait eu recours à la voie des armes dans le seul objectif d’accroître sa gloire personnelle. Monarque absolu au sein des frontières de son royaume, Louis XIV aurait manifesté à l’extérieur une volonté d’hégémonie pour plier tous ses voisins à sa volonté. À l’examen, cependant, le tableau est plus nuancé. Roi de guerre, Louis XIV est aussi à la tête d’une véritable « monarchie administrative » et ses calculs diplomatiques et militaires ressortent davantage de la froide raison d’État que de l’arrogance et de l’impétuosité du guerrier. Ce sont les objectifs, les ressorts et les instruments de la stratégie louis-quatorzienne, que cette intervention propose d’explorer.

Cette stratégie s’appuie sur une vision des rapports de force en Europe qui s’apparente, avant la lettre, à une véritable géopolitique du Continent. Espagne, Empire, Hollande, Angleterre : Louis XIV sait analyser les forces et faiblesses de chacun de ses concurrents, et adapter son comportement en conséquence. Conciliant les uns par des subsides, il s’attaque aux autres pour leur arracher territoires ou avantages économiques. Les guerres de Dévolution et de Hollande, qu’il engage sur des prétextes assez minces, lancent un cycle de conflits qui durera jusqu’à la fin de son règne. Mais au xviie siècle, la guerre est encore perçue comme un mode normal de résolution des tensions entre les États. Et s’il recherche la gloire, le roi veut surtout assurer la sécurité des frontières françaises et la prééminence – militaire, diplomatique et économique – de son royaume.

Il se donne également les moyens de ses ambitions. Dirigeant le pays le plus peuplé du Continent, Louis XIV et ses ministres mettent sur pied la première armée et, pour un temps, la première marine d’Europe. C’est sans compter que ses ennemis, un temps éblouis par le soleil, finissent par apprendre à lui résister. La guerre de la Ligue d’Augsbourg marque un temps d’arrêt et celle de la Succession d’Espagne manque de s’achever en catastrophe. Le règlement final de ce conflit aboutit à une situation d’équilibre qui garantit l’essentiel : le maintien des acquis territoriaux de l’ensemble du règne. Mais à cette date, les grandes lignes qui dominaient la géopolitique à l’époque de la jeunesse et de la maturité du Roi-Soleil semblent dépassées. Un nouveau principe s’est imposé, celui d’un équilibre entre les puissances européennes.


Votre conférencier :

Clément Oury, diplômé de l’École des Chartes et docteur de l’université de Paris-Sorbonne, est directeur-adjoint de la bibliothèque du Muséum national d’histoire naturelle. Spécialiste reconnu de l’histoire des guerres d’Ancien Régime, il a notamment publié La guerre de Succession d’Espagne (Tallandier, 2020) et Le duc de Marlborough : John Churchill, le plus redoutable ennemi de Louis XIV (Perrin, 2022).


Les dates à retenir :

19 mai 1635 : la France déclare la guerre à l’Espagne et entre dans la guerre de Trente Ans.

5 septembre 1638 : naissance de Louis XIV.

14 mai 1643 : avènement de Louis XIV au décès de son père, Louis XIII.

19 mai 1643 : à Rocroi, les troupes du duc d’Enghien (futur prince de Condé) mettent fin à la réputation d’invincibilité de l’infanterie espagnole.

7 novembre 1659 : paix des Pyrénées. L’Espagne, épuisée par la guerre, cède à la France le Roussillon, la haute Cerdagne, l’essentiel de l’Artois et diverses places des Pays-Bas espagnols (la Belgique actuelle).

9-10 mars 1661 : début du règne personnel de Louis XIV.

1667-1668 : guerre de Dévolution. La France conquiert aux dépens de l’Espagne une douzaine de places de Flandre, dont Lille.

1672-1678 : guerre de Hollande. Entamé contre la Hollande, le conflit dégénère en affrontement général ; la France s’empare de la Franche-Comté et consolide ses positions en Flandre et dans le Hainaut.

1683-1684 : guerre des Réunions. Après avoir annexé, en période de paix, des places-fortes sur les frontières nord et est de son royaume, Louis XIV conduit une guerre-éclair pour forcer l’Espagne et l’Empereur à reconnaître ses nouvelles conquêtes.

1688-1697 : guerre de la ligue d’Augsbourg. Seule contre toute l’Europe, la France parvient à défendre ses frontières.

1701-1714 : guerre de Succession d’Espagne. Louis XIV soutient les droits de son petit-fils, Philippe V, au trône d’Espagne, contre une nouvelle coalition européenne. À l’issue du conflit, Philippe V conserve sa couronne, mais la France est financièrement et militairement épuisée, tandis que l’Angleterre et l’Autriche s’affirment comme des puissances de premier plan.

1er septembre 1715 : décès de Louis XIV.


A lire pour aller plus loin :

Jean-Philippe Cénat, Le roi stratège : Louis XIV et la direction de la guerre, 1661-1715, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2010.

Olivier Chaline, Les armées du Roi. Le grand chantier - XVIIe-XVIIIe siècle, Paris, Armand Colin, 2016.

John Lynn, Les guerres de Louis XIV, Paris, Perrin, 2014.

Clément Oury, La Guerre de Succession d'Espagne : La fin tragique du Grand Siècle, Paris, Tallandier, 2020.


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Clement Oury
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