L’appartement de Léonce Rosenberg, à l'occasion de l'exposition au Musée Picasso

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En 1928, le marchand d’art Léonce Rosenberg réalise un projet qu’il envisage depuis dix ans, la création d’un intérieur, entièrement pensé par l’art moderne, qui reflèterait ses goûts personnels et magnifierait son activité de galeriste. Il propose ainsi à quinze artistes qu’il représente ou qu’il a accompagné, de réaliser chacun la décoration d’une pièce de son nouvel appartement, acquis dans cette optique. Les commandes sont très précises, portent des indications de dimensions, de couleurs, de sujet, de style et de délai. Elles prendront place sur les murs et hauts-de-porte des onze pièces et s’accorderont avec un mobilier ancien ou contemporain choisi avec autant de soin par le commanditaire.

Cette commande, tout à fait exceptionnelle dans l’esprit et dans ses proportions, reflète les tendances artistiques d’une époque où, proposant une alternative au surréalisme, le cubisme se réfléchit avec un retour à la figuration et un aspect décoratif qui confine à l’abstraction. Les choix esthétiques de Léonce Rosenberg proposent ainsi un panorama de l’art de la fin des années 1920, période particulièrement riche de créativité.


Votre conférencière :

Nathalie Douay est historienne de l'art et conférencière nationale.


Les dates à retenir :

1879 : naissance à Paris le 12 septembre de Léonce Rosenberg dans une famille de marchands, dont le père Alexandre ouvre une galerie d’art sur l’avenue de l’Opéra en 1898.

1901 : après avoir travaillé quatre ans dans une importante multinationale à Londres et à Anvers, et de retour à Paris, il s’associe avec son père. Quand ce dernier se retire des affaires, il hérite de la galerie avec son frère Paul (1881-1959) ; les deux frères travaillent ensemble.

1910 : chacun des frères ouvre sa propre galerie : Léonce s’installe 19, rue de la Baume et propose des meubles et des objets d’art du Moyen-âge au 17e siècle tandis que Paul s’établit 21, rue La Boétie.

1912 : Léonce s’intéresse aussi aux artistes contemporains, il possède des œuvres de Pablo Picasso, du Douanier Rousseau, de Georges Braque et d’Auguste Herbin. Il fait la connaissance de Daniel-Henry Kahnweiler, important marchand d’art parisien très impliqué auprès des cubistes.

1916 : Rosenberg passe ses premiers contrats avec des artistes cubistes, restés sans marchand, depuis l’exil forcé de Kahnweiler d’origine allemande.

1918 : sa galerie prend pour nom L’effort Moderne, signe de son engagement auprès d’artistes cubistes tels Auguste Herbin, Henri Laurens, Georges Valmier, Jean Metzinger, Fernand Léger, Georges Braque, Juan Gris, Gino Severini et Pablo Picasso auxquels il consacre des expositions régulièrement.

1920 : Rosenberg publie Cubisme et tradition, et l’année suivante, Cubisme et empirisme afin de faire mieux connaître ce courant artistique.

1921 : Léonce orchestre la vente des biens des marchands allemands Daniel-Henry Kahnweiler et Wilhelm Uhde, saisis pendant la guerre. Il s’attire ainsi les foudres de la communauté artiste et certains de ses artistes se détournent de sa galerie.

1924 : il publie le premier des quarante numéros du Bulletin de l’Effort Moderne qui paraitront jusqu’en 1927.

1928 : il s’installe avec sa famille dans un grand appartement rue de Longchamp pour lequel il mûrit un projet depuis plusieurs années : assigner à des artistes travaillant ou ayant travaillé avec lui, la décoration de chacune des pièces. Quinze peintres et sculpteurs parmi lesquels Léger, Picabia, De Chirico, Gleizes, Ernst, réalisent quatre-vingt-dix œuvres qui rendront compte de l’idée que Léonce se fait d’un intérieur moderne. Le 15 juin 1929, la pendaison de la crémaillère donne lieu à une soirée relatée dans la presse.

1932 : des difficultés économiques le contraignent à quitter son appartement et à vendre peu à peu les œuvres qui le décoraient. Intéressé par le développement de l’art abstrait, il contribue au premier numéro de l’importante revue Abstraction-Création, initiée par Auguste Herbin et Jean Hélion.

1941 : sa galerie L’Effort Moderne est fermée en raison des lois antisémites du gouvernement de Vichy.

1947 : Léonce décède à Neuilly-sur-Seine le 31 juillet à 67 ans.


À lire pour aller plus loin :

Dans l’appartement de Léonce Rosenberg, 75 rue de Longchamp. Francis Picabia, Fernand Léger, Giorgio De Chirico, Max Ernst…, éditions Flammarion et Musée Picasso Paris, 2024.

Le Cubisme, catalogue de l’exposition du Centre Pompidou, 2018.

Les numéros du Bulletin de l’Effort Moderne sont consultables sur la base Gallica.