Jean-Honoré Fragonard (1732-1806), la grâce érotique

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Il n’est guère de grand peintre français – Le Brun excepté- qui n’ait ajouté quelque nuance nouvelle à la grâce féminine. Mais sur ce point, qui rivaliserait avec Fragonard ? Boucher se répète, Ingres s’efforce à rester digne. Fragonard, lui, s’abandonne à sa délectation, multiplie, improvise avec une gaîté de méridional. Tant de jolis regards bruns, tant de minois délurés trahissent un peu trop l’invite. Un esprit blasé souhaite davantage que la grâce : l’émoi de la surprise, l’abandon du matin, les privautés de deux jolies compagnes, le désordre du lit comme une promesse, ou comme un souvenir.

Songeant aux scrupules pudibonds du XIXème siècle, on ne s’étonne pas qu’ait disparu un grand nombre de ses tableaux, connus seulement par des gravures ou des dessins. Et pourtant, rien qui soit ici malsain. Les beaux garçons embrassent les jolies filles, qui ne sont pas de reste. Bien loin Sade ou même Laclos, Fragonard est indiscret : mais on pardonne plus facilement cette indiscrétion là que certains sous-entendus.

Il y a chez lui de la franchise et de la santé : osons dire, une certaine innocence. C’est que la femme est ici une jeune fille qui rougit elle-même de ses premiers émois. C’est que l’amant est un jeune homme qui montre plus d’audace mais n’en est pas moins troublé. Mais quelle ride effleurerait les personnages de Fragonard ? Plus encore qu’à l’âge, ils se soustraient à la réalité. Joli minois, teint lisse, charmes parfaits : ce n’est pas la convention de la statuaire antique, chère au siècle précédent, mais un idéal qui pour être moderne et piquant n’en est pas moins abstrait.

Comment comparer ces couples aimables à l’hymne charnel de Rubens, par exemple, ou même à la gourmandise joyeuse de Renoir ? Ce qui sépare Fragonard de tous ses contemporains, c’est sa liberté de pinceau plus que de l’inspiration. Or, c’est ici qu’il faut se méfier de ce brave homme, gai, sociable, qui semble facile comme un enfant, sans secrets, et qui pourtant avouait un jour à Bergeret qu’il disait constamment, non ce qu’il pensait, mais ce qu’il croyait plaire.


Votre conférencier :

Docteur en Histoire de l’Art moderne de l’université Michel de Montaigne (Bordeaux 3), enseignant en classes préparatoires, Christophe Levadoux est spécialiste de l’Histoire de l’Architecture et des arts décoratifs français au XVIIIe siècle, à travers notamment le mécénat artistique des princes de Bourbon-Condé. Auteur de nombreux articles scientifiques liés à son sujet de spécialité et au patrimoine auvergnat, sa thèse Louis-Henri de Bourbon (1692-1740), prince des Lumières doit être publiée prochainement en deux volumes (vol 1. Les bâtiments ; vol.2. Les objets d’art). Conférencier reconnu en région Rhône-Alpes-Auvergne, son esprit résolument progressiste et iconoclaste le pousse à vulgariser l’Histoire de l’Art auprès d’un public avide de ses présentations érudites et décalées. Sa devise ? « Le courage a le mérite que l’on se doit pour exister » Sonia Lahsaini.


Les dates à retenir :

1732 : naissance à Grasse puis installation de la famille à Paris (vers 1738).

vers 1748-1752 : commence sa formation de peintre auprès de Jean-Baptiste Chardin puis de François Boucher

1752 : remporte le Grand Prix de l’Académie royale de peinture puis pensionnaire de l’Académie de France à Rome (1756-1761).

1765 : agréé par l’Académie royale de peinture. Expose pour la première fois ses oeuvres au Salon.

1767 : commande des Hasard heureux de l’escarpolette.

1769 : le 17 juin mariage avec Marie-Anne Gérard (1745-1823), le 16 décembre naissance de leur fille Rosalie.

1771-1772 : cycle des Progrès de l’amour pour le pavillon de Madame Du Barry à Louveciennes. L’ensemble est installé mais presque aussitôt renvoyé au peintre.

Vers 1777 : il peint Le Verrou pour le marquis de Véri (1722-1785).

1788 : le 8 octobre mort de sa fille Rosalie. Fragonard est très éprouvé par ce décès. Quelques années plus tard il abandonne progressivement la peinture.

1806 : le 22 août, mort de Fragonard à Paris dans son logement du Palais Royal.


À lire pour aller plus loin :

Carole Blumenfeld, Une Facétie de Fragonard, les révélations d'un dessin retrouvé, Éditions Gourcuff-Gradenigo, 2013.

Jean-Pierre Cuzin, Fragonard, 2003.

Florian Rodari, Fragonard, l'instant désiré, 1994.

Philippe Sollers, Les surprises de Fragonard, monographie illustrée, Gallimard, 1987 ; texte repris dans La guerre du goût, Gallimard, 1994 ; rééd. collection « Folio ».

Pierre Cabane, Jean-Honoré Fragonard (1732-1806), Paris, 1987.

Jacques Thuillier, Fragonard, Paris, Skira, coll. « La Peinture », 1967.


lundi 6 mai 2024 à 14:30

Christophe Levadoux
02_Histoire de l’art