Alsaciens et Mosellans morts sous le nazisme : un hommage impossible ?

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L’histoire de l’Alsace et de la Moselle pendant la Seconde Guerre mondiale se caractérise par sa profonde spécificité : annexé de fait par le IIIe Reich, ce territoire a vécu sous le joug totalitaire. Les obligations faites à ses habitants furent différentes de celles qui valaient en France occupée, notamment avec l’incorporation de force des jeunes hommes dans l’armée nazie et la Waffen-SS. De même, la répression s’est exercée sur place en suivant les politiques nazies qui visaient notamment les opposants au régime, les homosexuels, les malades psychiatriques ou les témoins de Jéhovah. Quant aux Alsaciens et aux Mosellans déplacés hors de leur département de naissance, ils obéissaient aux politiques françaises, dont certaines, voulues par l’Etat vichyste, étaient elles-mêmes répressives. L’histoire de l’Alsace et de la Moselle annexée pendant la Seconde guerre mondiale constitue ainsi un laboratoire d’analyse unique pour la communauté historienne, mais elle engage également à développer une fine réflexion sur le fait mémoriel, d’hier à aujourd’hui, au niveau local, national et international.

Comment rendre hommage aux morts alsaciens et mosellans de cette période sans perdre de vue le particularisme de leurs destins ? Comment rassembler dans un même hommage des personnes dont la mort résulte de motifs très différents – résistantes et résistants, soldats français, incorporés de force, juives et juifs, femmes et hommes persécutés ?

Après un premier projet de « mur des noms » avorté en 2015 sur fond de polémiques mémorielles, la Région Grand Est a rassemblé des historiens et rebâti une proposition qui fait aujourd’hui consensus. C’est celle-ci que vous présentent Frédérique Neau-Dufour, présidente du conseil scientifique, et Ilse Hilbold, historienne chargée de la conduite du projet.

Daté et statique, le « mur des noms » a été abandonné au profit d’un véritable monument qui accueille les visiteurs dans un espace de 250 m². En son sein, les noms des morts défileront sur les murs, dans le respect des causes de leur décès. L’ensemble repose sur une base de données de 36 000 noms qui continue d’être amendée et complétée.

Lieu de recueillement et d’hommage, le futur équipement mettra en son cœur l’accès à la connaissance : le visiteur aura accès à des éléments de contexte historique. Il pourra découvrir des dizaines de parcours individuels qui illustrent la complexité des destins. Ceux qui le souhaitent, notamment les élèves, auront la possibilité de contribuer à l’écriture des présentations biographiques. Par cette démarche participative, il s’agit d’inciter tous les citoyens à s’intéresser à un pan méconnu de l’histoire nationale et européenne.


Vos conférencières :

Frédérique Neau-Dufour, présidente du conseil scientifique en charge du projet de monument mémoriel aux Alsaciens et Mosellans morts et disparus pendant la Seconde Guerre mondiale.

Ilse Hilbold, coordinatrice scientifique du projet de monument mémoriel aux Alsaciens et Mosellans morts et disparus pendant la Seconde Guerre mondiale (Région Grand Est).


Les dates à retenir :

Juillet 1940 : annexion de fait de l’Alsace et de la Moselle par les nazis.

Avril 1945 : achèvement de la libération des provinces annexées.

1953 : procès de Bordeaux.

2005 : inauguration du Mémorial d’Alsace Moselle.

2015 : elaboration d’un projet de « mur des noms ».

2016 : polémique et abandon.

2020 : création d’un nouveau conseil scientifique chargé de redéfinir le projet.

2025 : inauguration prévisionnelle du monument.


À lire pour aller plus loin :

Jean-Noël Grandhomme, « La ‘mise au pas’ (Gleichschaltung) de l’Alsace-Moselle en 1940-1942 », Revue d’Allemagne et des pays de langue allemande 46-2, 2014, en ligne ici.

Marie Janot-Caminade, « Les ‘Malgré-Nous’ et les ‘Malgré-Elles’ : l’influence d’une catégorisation genrée sur la visibilité des témoignages des incorporé.e.s de force alsacienne.e.s dans la sphère publique pendant la Seconde Guerre mondiale », Genre & Histoire 19, 2017, en ligne ici.

Serge Klarsfeld, Le Mémorial de la déportation des Juifs de France, Paris, 2012.

Simon Perego, « Mémoires des guerres, mémoires des noms », Encyclopédie d'histoire numérique de l'Europe, en ligne ici.