Enfers et paradis de la curiosité : les collections de l’archiduc d’Autriche Ferdinand de Tyrol

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Un crâne de marbre blanc, récemment attribué à Gianni Lorenzo Bernini et conçu tel un Memento Mori, témoigne admirablement de ce que fut le goût, souvent considéré comme étrange, pour les cabinets de curiosités, lieux à la fois à l’image du monde et paradoxalement refermés comme des confessionnaux sur l’individu face à sa destinée.

Curiosités naturelles [géologiques, zoologiques, botaniques] ou curiosités artificielles [artistiques, exotiques, rares], elles furent l’origine de collections particulières ou de futurs musées. Réunis dans des cabinets de merveilles dont pas un seul n’a été intégralement conservé, ces ensembles révélaient, au-delà de leurs valeurs artistique ou scientifique, quels regards esthétique, symbolique, social, hommes et femmes du passé portaient sur ce qui était alors inconnu. Des environs de Rome aux lambris de Verrières-les-Buissons, une petite histoire de la curiosité vous attend.

Le cristal oublié sous la neige : Ferdinand de Tyrol

L’archiduc d’Autriche Ferdinand II était un des collectionneurs les plus importants de son temps. Un goût qu’il transmettra à son neveu, le futur Rodolphe II, ce dernier constituant à Prague le cabinet d’art et de merveilles le plus extravagant du XVIIe siècle puisqu’il abritera notamment les œuvres du peintre milanais Giuseppe Arcimboldo. Mais pour l’instant, en 1568, à Munich, les spectaculaires travaux de la Résidence pour abriter la collection de statuaire antique du duc Albert V, l’Antiquarium, ne pouvait laisser indifférent Ferdinand II. À partir de 1570, ce prince-esthète fera construire son propre musée dans le complexe du château d'Ambras pour abriter ses diverses collections. Son cabinet d’art et de merveilles, le seul de la Renaissance partiellement conservé, témoignera de l’éclectisme de son goût. Le second mariage de l’archiduc avec une princesse de la maison des Gonzague tissera un lien privilégié au-delà des sommets enneigés avec les collections mantouanes d’Isabelle d’Este constituées, elles, dès 1506. La barrière naturelle des Alpes se transforme alors en promontoire où le Nord regarde vers le Sud. Les couleurs et l’or de Venise, les pavements cosmates, l’Orient, sont à portée de mains. D’ Albrecht Dürer aux obscurs Fistulator, géniaux inventeurs de la scagliola, tous y succomberont.

Image : CC BY-SA 4.0 File:Innsbruck Schloss Ambras Hochschloss Innen Spanischer Saal 03.jpg Zairon.


Votre conférencier :

Stéphane Dubois-dit-Bonclaude est historien de l’art, dessinateur et auteur de plusieurs ouvrages sur les arts appliqués. Il a conduit sa carrière professionnelle à Genève plus sensiblement auprès du Service cantonal de la culture.


Les dates à retenir :

1490 : Début des travaux du studiolo d’Isabelle d’Este au palais ducal de Mantoue.

1565 : Samuel Quiccheberg, médecin anversois établi en Allemagne, conçoit un catalogue des diverses choses composant l’univers ainsi que des lieux (les cabinets de curiosité) où ces dernières sont rassemblées.

XVIe : Les grands-ducs de Toscane installent des statues dans la loggia dei Lanzi à Florence créant un cabinet monumental ouvert sur la cité.

1617 : Jean Brueghel l’Ancien et Pierre Paul Rubens débutent la série « Allégorie des cinq sens ». Véritables synthèses idéales des cabinets de curiosités.

1650 : Aménagement du cabinet de l’Hôtel Colbert de Villacerf, Musée Carnavalet, Paris.

1651 : Athanasius Kircher constitue le musée Kircher autour d’un cabinet de curiosités.

1723 : Le cabinet de merveilles (Grünes Gewölbe) d’Auguste le Fort est aménagé au Château de la Résidence de Dresde.

1740 : Le cabinet de curiosités de Joseph Bonnier de La Mosson, dans l'hôtel du Lude, à Paris, est le premier à être structuré selon des domaines scientifiques précis.

1939 : Le peintre russe Eugène Berman propose le premier cabinet contemporain en trompe-l’œil, une idée reprise après 1948 par le milanais Piero Fornasetti.

1953 : Janine Janet réalise sa première vitrine pour Balenciaga à Paris.

1993 : La collection d’art contemporain Curios & Mirabilia est installée au château d’Oiron et librement inspiré par les cabinets de curiosités.


A lire pour aller plus loin :

Les cabinets d’art et de merveilles de la Renaissance tardive, Julius von Schlosser (Leipzig, 1908), Macula, 2012.

Mémoires d’Hadrien, Marguerite Yourcenar, Plon, 1951.

Julietta, Louise de Vilmorin, Gallimard, 1951.

Retraites mondaines, Alain Mérot, Le Promeneur, 1990.

Baroque Baroque, Stephen Calloway, Gallimard, 1994.

17de-eeuwse Kabinetten, Dossiers Rijksmuseum, 2002.

Cabinets de curiosités, Patrick Mauriès, Gallimard, 2002.

Janine Janet - Métamorphoses, Claude d’Anthenaise, Norma, 2003.

Das Badminton Cabinet, Liechtenstein Museum, Prestel, 2007.

L’amour profane de Basilius Besler, Isabelle Pouchin, Gaspard Nocturne, 2011.

Un cabinet des merveilles, Pierre Rival, publication privée, 2015.

Leïla Menchari - La Reine Mage, Michèle Gazier, Actes Sud, 2017.

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Stéphane Dubois
02_Histoire de l’art