L’influence de la Réforme sur le décor peint en Alsace

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En 1830, alors que l'intérêt pour la polychromie médiévale se faisait jour, Ludovic Vitet, premier inspecteur général des Monuments historiques présentait la Réforme comme l'une des causes de la disparition de la couleur dans les édifices : «Il s'est trouvé qu'à la fin du XVIème siècle, grâce au protestantisme, au pédantisme, et à bien d'autres causes, notre imagination devenant chaque jour moins vive, moins naturelle, plus terne pour ainsi dire, on se mit à blanchir ces belles églises peintes, on prit goût aux murailles et aux boiseries toutes nues, et si l'on peignit encore quelques décorations intérieures, ce ne fut plus, pour ainsi dire, qu'en miniature».

Les propos tenus au XVIème siècle par les grands réformateurs ne sont pas sans rappeler ceux de Bernard de Clairvaux plusieurs siècles auparavant lorsqu'il condamnait les murailles éclatantes avec des pierres recouvertes d'or quand les pauvres étaient laissés dans le dénuement. La destruction des images et le dépouillement des édifices représentaient pour eux une rupture visible avec l'Église romaine. Le temple devait se transformer en salle de prédication. Les objets porteurs de superstitions, occasions de perversion du culte étaient décrits comme une souillure spirituelle qu'il fallait effacer. Purifiée par le feu ou par la chaux, l'église débarrassée de ses ornements devait être rendue à sa pauvreté première.

Les chroniques et les sources archivistiques relatent fréquemment le blanchiment des édifices. De nombreux décors ont ainsi disparu dans les églises d’Alsace et ils n’ont souvent été redécouverts qu’à partir du XIXème siècle. Cet oubli a parfois été salutaire pour des peintures demeurant ainsi à l’abri des changements de goût et des altérations du temps. La petite église de Baldenheim, à proximité de Sélestat est un exemple particulièrement intéressant. Sur le mur oriental de la nef et dans le chœur, on peut observer des peintures réalisées autour de 1490, et qui témoignent de l’influence des gravures de Martin Schongauer. Les différents sujets représentés sont accompagnés d’une polychromie architecturale d’une qualité exceptionnelle. Après la Réforme, les peintures historiées ont été blanchies. Les lignes architecturales ont reçu une polychromie imitant le grès et des versets ont été tracés sur les murs de la nef. La dernière restauration a permis de faire coexister ces différents décors.

La polychromie architecturale ne pouvait s’opposer aux idées de la Réforme que par sa richesse, son exubérance ou son lien avec des peintures figurées. Toutefois, une mise en teinte de la structure avec des couleurs reprenant celles des matériaux pouvait demeurer d’une grande sobriété et avoir un rôle protecteur pour la pierre. Ainsi, de nombreux décors montrent que le « chromoclasme » de la Réforme qui a pu être évoqué parfois, se conjuguant avec l’Iconoclasme, n’a pas été absolu.

Immage : © Ralph Hammann - Wikimedia Commons


Votre conférencière :

Anne Vuillemard-Jenn est docteur en histoire de l’art, enseignante et chercheur indépendant. Membre du Groupe de Recherches sur la Peinture Murale, elle poursuit des recherches sur la polychromie architecturale et la peinture monumentale.


À lire pour aller plus loin :

Cécile Dupeux, Peter Jezler, Jean Wirth (Dir.), Iconoclasme: vie et mort de l'image médiévale, catalogue de l'exposition, Musée d'histoire de Berne, Musée de l'Œuvre Notre-Dame, Musées de Strasbourg, 2001.

Michel Pastoureau, « L'Eglise et la couleur, des origines à la Réforme », Bibliothèque de l'École des chartes, 1989, 147, p. 203-230.

Michel Pastoureau, « Morales de la couleur : le chromoclasme de la Réforme », Cahiers du Léopard d'or, 1995, 4, p. 27-46.

Anne Vuillemard-Jenn, « Les polychromies de l’église protestante de Baldenheim et la restauration des décors peints », dans Ilona Hans-Collas, Anne Vuillemard-Jenn, Dörthe Jakobs, Christine Leduc-Gueye (dir.), La peinture murale en Alsace au cœur du Rhin supérieur du Moyen Âge à nos jours, Actes du colloque de Guebwiller (2-5 octobre 2019), Caen, Groupe de Recherches sur la Peinture Murale (GRPM), 2023, mis en ligne en février 2023.