Enfers et paradis de la curiosité : les miroirs voilés, Louise de Vilmorin

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Un crâne de marbre blanc, récemment attribué à Gianni Lorenzo Bernini et conçu tel un Memento Mori, témoigne admirablement de ce que fut le goût, souvent considéré comme étrange, pour les cabinets de curiosités, lieux à la fois à l’image du monde et paradoxalement refermés comme des confessionnaux sur l’individu face à sa destinée.

Curiosités naturelles [géologiques, zoologiques, botaniques] ou curiosités artificielles [artistiques, exotiques, rares], elles furent l’origine de collections particulières ou de futurs musées. Réunis dans des cabinets de merveilles dont pas un seul n’a été intégralement conservé, ces ensembles révélaient, au-delà de leurs valeurs artistique ou scientifique, quels regards esthétique, symbolique, social, hommes et femmes du passé portaient sur ce qui était alors inconnu. Des environs de Rome aux lambris de Verrières-les-Buissons, une petite histoire de la curiosité vous attend.

Les miroirs voilés : Louise de Vilmorin

Le XIXe siècle achevé, l’univers mécanique et quasiment carcéral qu’il a contribué à implanter se voit masqué par un monde de happy few réunissant dans la même ronde Marcel Proust et Charles de Besteigui, le couple Noailles, la dynastie des Rothschild… Dans ce que l’on nommera la Café Society - ce ballet mondain qui rivalise de fantaisie lors de fêtes masquées de Venise à Monte-Carlo - se distinguent quelques figures artistiques atypiques qu’il conviendrait de réévaluer sous un éclairage marqué par leur liberté de ton et leur indépendance d’esprit : Christian Bérard, Janine Janet, Jacques Dupont, même Jean Cocteau…

Louise de Vilmorin dans son court roman « Giulietta » décrit ce milieu perdu entre aristocratie désargentée, monde des affaires, lieux de villégiature, et manifestant une soif d’exister au cœur d’une société bouleversée par les conflits du XXème siècle. Les cabinets de curiosités sont devenus des décors de théâtres, des vitrines ornées comme des châsses baroques, des masques précieux dont le reflet au hasard des glaces n’est plus qu’une illusion. Quelques artistes contemporains se sont emparés depuis de ce que la mémoire accumule ou rejette sous le mercure des miroirs, citons, parmi d’autres : Christian Boltanski, Sophie Calle, Gordon Matta-Clark, Claudio Parmigiani.


Votre conférencier :

Stéphane Dubois-dit-Bonclaude est historien de l’art, dessinateur et auteur de plusieurs ouvrages sur les arts appliqués. Il a conduit sa carrière professionnelle à Genève plus sensiblement auprès du Service cantonal de la culture.


Les dates à retenir :

1490 : Début des travaux du studiolo d’Isabelle d’Este au palais ducal de Mantoue.

1565 : Samuel Quiccheberg, médecin anversois établi en Allemagne, conçoit un catalogue des diverses choses composant l’univers ainsi que des lieux (les cabinets de curiosité) où ces dernières sont rassemblées.

XVIe : Les grands-ducs de Toscane installent des statues dans la loggia dei Lanzi à Florence créant un cabinet monumental ouvert sur la cité.

1617 : Jean Brueghel l’Ancien et Pierre Paul Rubens débutent la série « Allégorie des cinq sens ». Véritables synthèses idéales des cabinets de curiosités.

1650 : Aménagement du cabinet de l’Hôtel Colbert de Villacerf, Musée Carnavalet, Paris.

1651 : Athanasius Kircher constitue le musée Kircher autour d’un cabinet de curiosités.

1723 : Le cabinet de merveilles (Grünes Gewölbe) d’Auguste le Fort est aménagé au Château de la Résidence de Dresde.

1740 : Le cabinet de curiosités de Joseph Bonnier de La Mosson, dans l'hôtel du Lude, à Paris, est le premier à être structuré selon des domaines scientifiques précis.

1939 : Le peintre russe Eugène Berman propose le premier cabinet contemporain en trompe-l’œil, une idée reprise après 1948 par le milanais Piero Fornasetti.

1953 : Janine Janet réalise sa première vitrine pour Balenciaga à Paris.

1993 : La collection d’art contemporain Curios & Mirabilia est installée au château d’Oiron et librement inspiré par les cabinets de curiosités.


A lire pour aller plus loin :

Les cabinets d’art et de merveilles de la Renaissance tardive, Julius von Schlosser (Leipzig, 1908), Macula, 2012.

Mémoires d’Hadrien, Marguerite Yourcenar, Plon, 1951.

Julietta, Louise de Vilmorin, Gallimard, 1951.

Retraites mondaines, Alain Mérot, Le Promeneur, 1990.

Baroque Baroque, Stephen Calloway, Gallimard, 1994.

17de-eeuwse Kabinetten, Dossiers Rijksmuseum, 2002.

Cabinets de curiosités, Patrick Mauriès, Gallimard, 2002.

Janine Janet - Métamorphoses, Claude d’Anthenaise, Norma, 2003.

Das Badminton Cabinet, Liechtenstein Museum, Prestel, 2007.

L’amour profane de Basilius Besler, Isabelle Pouchin, Gaspard Nocturne, 2011.

Un cabinet des merveilles, Pierre Rival, publication privée, 2015.

Leïla Menchari - La Reine Mage, Michèle Gazier, Actes Sud, 2017.


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Stéphane Dubois
02_Histoire de l’art