L'art des vikings
« Art des vikings », de prime abord, l'expression peut sembler paradoxale tant la perception des vikings dans la culture populaire, encore trop souvent réduite à l'image d'impitoyables guerriers semant la terreur partout où ils débarquent, éloigne ceux-ci de toute pratique artistique ; ou bien il faut considérer cette dernière comme un art barbare empli d'animaux fantastiques, dont les entrelacs comme les motifs relèveraient d'un univers mental étranger aux normes héritées de l'antiquité classique et du monde chrétien ; un art mystérieux dont les circonvolutions formelles échapperaient pour beaucoup aux tentatives d'interprétation. Or, ce paradoxe ne tient plus si l'on reconnaît que les vikings ne sont pas un peuple à proprement parler mais qu'ils proviennent des communautés humaines établies de longue date en Scandinavie (Danemark, Norvège, Suède) et dont ils sont loin d'être les seuls membres. L'étude de l'art des vikings implique donc de restituer les artefacts réalisés à leur époque aux sociétés qui leur ont donné jour.
Cet indispensable travail de contextualisation révèle plusieurs choses. Tout d'abord, il présente quelques unes des caractéristiques essentielles de la culture scandinave à laquelle appartiennent les vikings et qui les dépasse. Par exemple, les ornementations qu'ils appréciaient ne transfigurent pas seulement les armes, les casques et les épées, ou encore les proues des navires, car on les rencontre également sur la plupart des objets de la vie quotidienne, et ceci dans des matériaux très divers. Ce travail de contextualisation montre aussi que les vikings, en matière artistique, ne sont pas nés armés, comme Athéna, au sortir de la Scandinavie à la fin du VIIIe siècle, mais qu'ils sont les héritiers de traditions plus anciennes, voisines notamment de celles des peuples germains. Ces traditions, en outre, loin d'être figées dans le temps et dans l'espace sont évolutives. Elles évoluent d'ailleurs à tel point que les historiens sont parvenus à établir une typologie stylistique pour mieux les analyser. Pour n'en mentionner ici que quelques unes, on parle ainsi du style d'Oseberg, de celui de Jelling ou encore de celui d'Urnes qui clôt la période viking. Ces transformations que reflètent les différents styles de l'art viking s'appuient pour une part sur le dynamisme propre des sociétés les ayant produites, ces dernières évoluent encore au contact des peuples abordés par les vikings, lesquels ne font pas que véhiculer denrées commerciales, butin, mais encore idées et manières de percevoir et de mettre en forme le monde.
Mais on ne ferait ici que présenter la culture matérielle des vikings en passant à côté de certaines des plus grandes créations artistiques de leur temps si l'on omettait de parler des scaldes, de la poésie ou des mythes créés en Europe du Nord et dans les îles de l'Atlantique Nord colonisées par les Scandinaves. Des pans entiers de cette très riche littérature orale sont parvenus jusqu'à nous grâce au travail de compilation et de retranscription sur support écrit entrepris au XIIIe siècle, en Islande tout particulièrement. C'est grâce à cette entreprise que les histoires d'Odin, de Loki et de Thor nous parlent toujours, et qu'elles ont pu inspirées des artistes aussi brillants que Richard Wagner ou J.R.R. Tolkien.
Image : Eduardo — posté sur Flickr as la pared original de la Urnes stavkyrkje (I).
Votre conférencier :
Après une formation universitaire en histoire et en socio-anthropologie, Arnaud Hédouin se consacre à l'activité de guide-conférencier. À ce titre, il accompagne des groupes à l'étranger depuis plus de vingt ans avec l'ambition de faire découvrir l'histoire, la culture mais aussi les structures sociales des pays visités.
Les dates à retenir :
Concernant les styles vikings, la chronologie est donnée à titre indicatif sachant que les limites temporelles sont approximatives et variables de quelques décennies d'un auteur à l'autre.
550 – 750 : période de Vendel (Suède).
Vers 750 – v. 875 : style d'Oseberg & Broa.
Vers 850 – 950 : style de Borre.
Milieu IXe : Bragi Boddason considéré comme le premier scalde (poésie scaldique).
Vers 900 – v. 975 : style de Jelling.
Vers 950 – v. 1025 : style de Mammen.
Vers 1000 – v. 1075 : style de Ringerike.
Vers 1025 – v. 1125 : style d'Urnes.
XIIIe : compilation de la poésie eddique dans le manuscrit Codex Regius.
À lire pour aller plus loin :
James Graham-Campbell, Viking Art, Thames & Hudson, Londres, 2013.
Régis Boyer, L'Art Viking, La Renaissance du Livre, Tournai, 2001.
David Wilson & Ole Klindt-Jensen, Viking Art, 1966, Cornell University Press, Ithaqua, 1966.
Beaux-Arts, Hors Série, Vikings, AFAA (Association Française d'Action Artistique), Ministère des Affaires Étrangères, Paris, 1992.
Neil Price, Les Enfants du frêne et de l'orme Une histoire des Vikings, Seuil, Paris, 2022.
Centre Culturel Abbaye Daoulas, L'Europe des Vikings [catalogue d'exposition], Éditions Hoëbeke, Paris, 2004.