Les marchands italiens au XVIème : l'amorce d'un déclin ?

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Les XVIe-XVIIe sont marqués par la perte simultanée de la centralité de l’espace méditerranéen et de l’hégémonie italienne dans le commerce international. Ce processus culmine au 17e siècle avec la compétition entre les grandes puissances du Nord-Ouest Européen, la Hollande, l’Angleterre et la France, pour la domination d’un trafic mondial qui inclut désormais l’Amérique.

Le « déclassement » des Italiens a pour origine la tentative européenne de contourner la domination turque dans les Balkans et au Moyen Orient, pour rejoindre directement l’Asie. Les voyages de Barthélemy Diaz jusqu’au Cap de Bonne Esperance, de Christophe Colomb en Amérique et de Vasco de Gama en Inde marquent les étapes essentielles de l’ouverture de nouvelles routes maritimes vers l’Inde et l’Amérique. L’espace atlantique occupe désormais la première place dans les échanges internationaux. Bien que l’idée de contourner les Turcs et leur système de taxation soit à l’origine italienne, les grands gagnants de ces nouveaux développements sont les pouvoirs ibériques (monarchie portugaise, puis espagnole), qui seuls ont accepté de financer ces dangereuses expéditions.

Plus au Nord s’affirment le pouvoir commercial des villes de la Hanse dans le commerce baltique, alors que les grandes maisons d’Allemagne du Sud telles que les Fugger ou les Welser dominent le commerce avec l’Europe continentale, notamment grâce a l’exploitation des mines du Tyrol, qui leur assure une position centrale dans le commerce du poivre portugais. Les marchands allemands s’affirment aussi comme de grandes puissances d’argent au service notamment du Saint Empire.

Le centre de l’économie atlantique est d’abord situé à Anvers, où les marchands italiens sont beaucoup moins nombreux que leurs homologues portugais, espagnols et allemands. Au début du XVIIe siècle, le centre gravitationnel des échanges internationaux se déplace à Amsterdam, où les Italiens sont encore moins nombreux qu’à Anvers. À cette époque, Hollandais et Anglais, puis Français sont en concurrence aussi bien en Atlantique qu’en Méditerranée, où les Hollandais ont supplanté les Italiens grâce à l’efficacité de leurs navires et de leur industrie textile, dont les produits peu couteux séduisent les marchés italien et orientaux.

À côté du commerce méditerranéen centré sur la place de Lyon, qui décline dans le dernier tiers du XVIe siècle, s’est donc développée une économie atlantique très dynamique et beaucoup plus étendue, fondée sur l’ouverture de nouvelles routes maritimes vers les Indes orientales et occidentales. Sur le plan bancaire, les Florentins de Lyon, puis les Génois à Besançon, continuent d’organiser le marché international des changes. C’est toutefois à Anvers se diffusent de nouvelles techniques financières (l’endossement et l’escompte) qui vont profondément modifier la structure et le fonctionnement du marché monétaire au siècle suivant. L’évolution de la technique financière se poursuit à Amsterdam, qui voit l’émergence du premier marché international des actions et de la plus grande banque publique, qui centralise les paiements européens grâce au succès de son étalon monétaire, le « florin banco ».

Depuis l’ouvrage monumental de Fernand Braudel, qui a consacré l’idée d’un déclin total des marchands italiens sur la scène internationale et influencé des générations d’historiens, d’autres recherches ont émergé qui tentent d’éclairer les stratégies d’adaptation des Italiens dans ce nouveau contexte internationale. Elles mettent notamment l’accent sur le fait que les Italiens continuèrent d’avoir une présence importante en Méditerranée durant tout le XVIIe siècle, et que leurs services restèrent indispensables dans certains secteurs, comme le commerce entre l’Angleterre et le Levant (via le nouveau port de Livourne) ou les affaires financières de la monarchie espagnole.

Lors de cette seconde session, je présenterai le résultat de mes propres recherches dans les archives d’une des plus grosses banques italiennes de la place de Lyon au XVIe siècle : les Salviati. Je montrerai en quoi l’activité des Salviati permet de remettre en question l’idée d’une « supériorité technique » des Flamands par rapport aux Italiens, de même que l’idée d’un « retrait » italien de Lyon et des places d’Europe du Nord-Ouest. Je mettrai notamment l’accent les conséquences d’une spécialisation des Italiens dans le négoce en commission, qui leur permis de poursuivre leur trafic sur les principales places commerciales européennes sans y ouvrir de succursales, mais aussi de mettre au point des techniques sophistiquées pour améliorer la circulation du crédit, sans avoir recours à l’endossement et à l’escompte. La commission permettait aux Italiens d’organiser discrètement en tant qu’intermédiaires financiers toute une partie des échanges internationaux, sans s’y impliquer de manière directe. Je présenterai enfin certaines hypothèses concernant les raisons pour lesquelles des techniques financières traditionnellement décrites comme des innovations flamande/hollandaise, virent toutes le jour en Italie, sans pour autant jamais s’y diffuser à grande échelle, comme elles le firent plus tard dans le Nord-Ouest européen.


Votre conférencière :

Nadia Matringe est Maitre de conférences à la London School of Economics. Ses travaux portent sur l’histoire économique de l’Italie au Moyen Age et à l’époque moderne. Ses projets de recherche les plus récents concernent la sociologie historique de la comptabilité. En 2016, elle a publié "La banque en renaissance : les Salviati et la place de Lyon au milieu du XVIe siècle", PUR.


Les dates à retenir :

1485 : Barthelemy Diaz au Cap.

1492 : Premier voyage de Christophe Colomb.

1494 : Traite de Tordesillas. Partage du Nouveau Monde entre l’Espagne et le Portugal.

1498 : Vasco de Gama à Calicut.

1501 : Premier envoi d’esclaves noirs en Amérique.

1503 : Fondation de la Casa de la Contratacion, administration coloniale espagnole qui contrôle le commerce des Indes.

1508 : Ouverture de la banque Salviati de Lyon.

1510 : Prise de Goa par Albuquerque (vice-roi des Indes 1512-1515).

1517 : Premier contrat d’asiento génois.

1519 : Périple de Magellan.

1529-31 : Expédition normande à Sumatra.

1531 : Ouverture de la nouvelle Bourse d’Anvers.

1532 : Pizarro au Pérou.

1534-1542 : Jacques Cartier au Canada.

1545 : Ouverture des mines d’argent du Potosi.

1555 : Compagnie de Moscovie, première importante compagnie anglaise de commerce à actions, monopole du commerce entre l’Angleterre et la Moscovie.

1557 : Banqueroute espagnole. Etablissement des Portugais a Macao.

1560 : Stabilisation de la livre sterling.

1563 : Conflit commercial entre l’Angleterre et les Pays-Bas. Merchant Adventurers quittent Anvers.

1567 : Merchant Adventurers à Hambourg.

1575 : Banqueroute espagnole.

1577-1581 : Périple de Drake (tentative anglaise de concurrencer la domination espagnole).

1600 : Compagnie anglaise des Indes orientales.

1602 : Compagnie hollandaise des Indes orientales.

1609 : Banque d’Amsterdam.

1621 : Compagnie hollandaise des Indes occidentales.


A lire pour aller plus loin :

Maurice Aymard, Capitalisme hollandais et capitalisme mondial, Paris, Maison des Sciences de l’Homme, 1982.

Fernand Braudel, La Méditerranée et le monde à l’époque de Philippe II. 2e édition revue et augmentée. 2 volumes. Paris, Armand Colin, 1966.

Pierre Jeannin, Les marchands au XVIe siècle, Paris, Seuil 1957.

Nadia Matringe, La banque en Renaissance. Les Salviati et la place de Lyon au milieu du XVIe siècle, Rennes, PUR, 2016.

Immanuel Wallerstein, Le système du monde, du XVe siècle à nos jours : vol 1, Capitalisme et Économie-Monde 1450-1640, Paris, Flammarion, 1992.


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