"Invention" et révolution de l'imprimé et humanisme rhénan (mi-XVème – mi-XVIème siècle)

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Le nom de Gutenberg (1394/1400-1468) demeure intimement associé à la « révolution de l’imprimé ». Elle débute à Mayence, sa ville natale, au milieu du XVème siècle. Mais elle met en œuvre diverses innovations techniques préalablement mises au point au cours d’un long séjour à Strasbourg. Le premier objectif est donc d’analyser le rôle exact joué par Gutenberg et ses associés ainsi que la mise en cohérence de ces différentes techniques : presse, normalisation et fabrication en série des caractères, usage du papier et de l’encre. Ce sera aussi l’occasion de replacer cette « invention » dans l’histoire plus large de l’impression et notamment de la gravure sur bois (en place dès les débuts du XVème siècle) et sur cuivre (en usage à partir du milieu de ce même siècle). On étudiera également les modalités, les raisons et les effets de la rapide diffusion de l’imprimerie dans l’axe rhénan, en particulier dans la partie supérieure de celui-ci (Bâle).

Encore proche à ses débuts du livre manuscrit, tant en ce qui concerne la présentation des textes qu’en ce qui touche à leur contenu et au public visé, le livre imprimé ne cesse d’évoluer au tournant des XVème et XVIème siècles : apparition de la page de titre, adoption de la pagination, présence de paratextes et d’index. Imprimeurs et éditeurs, auteurs et artistes s’adressent à un public plus large qu’il faut séduire : le latin fait place à la langue vernaculaire, même s’il reste prédominant (à Bâle plus qu’à Strasbourg). Les illustrations rendent les ouvrages plus attrayants et participent aux changements qui s’opèrent dans la présentation et l’appropriation des connaissances et des informations que les livres véhiculent. Par ailleurs, les thématiques se diversifient. Dans le même temps, les lieux d’impression se multiplient (Sélestat, Haguenau, Colmar, Fribourg et même Saint-Dié), sans ébranler la suprématie des deux métropoles régionales, qui figurent durant toute la période parmi les dix villes les plus importantes du monde germanique en matière d’impression. On s’interrogera sur l’existence et sur les spécificités d’un humanisme rhénan nullement monolithique et loin d’épuiser la diversité de la production imprimée dans l’espace du Rhin supérieur.

Enfin, dans un troisième temps, on étudiera l’impact des idées et des pratiques réformatrices, à partir de la deuxième décennie du XVIème siècle : diffusion des ouvrages de Luther, impression et lectures des libelles en langue vernaculaire (Flugschriften), propagation des « images polémiques et dissidentes » (Frank Muller). Le monde humaniste se fissure et les imprimeurs se divisent. L’humanisme reste cependant bien présent, notamment à Bâle, et ses spécificités rhénanes demeurent perceptibles, en-deçà de la frontière confessionnelle qui prend progressivement forme, aussi bien chez les réformateurs strasbourgeois (Martin Bucer, 1491-1551 ; Wolfgang Capiton, 1478-1541) ou bâlois (Jean Oecolampade, 1482-1531), que chez les partisans de l’Église romaine (Érasme, Beatus Rhenanus).

Image : Bible de Gutenberg, NYC Wanderer (Kevin Eng).


Votre conférencier :

Professeur émérite à l’université de Tours, Gérald Chaix a consacré ses recherches, ses publications et son enseignement au « temps des Réformes » en Europe (1400-1600), à l’histoire du Saint Empire à l’époque moderne, et au monde de l’imprimé à la Renaissance. Il prépare un livre sur l’histoire des chartreux.


Les dates à retenir :

Vers 1450 : début de l’imprimerie à Mayence.

Vers 1460 : début de l’imprimerie à Strasbourg (Johannes Mentelin, 1410?-1478 ; Heinrich Eggestein, 1515/20 ?-1488 ? ; Adolf Rusch, 1435 ?-1489).

1468 : début de l’imprimerie à Bâle (Berthold Ruppel, † 1494/5).

1494 : Sébastien Br ant (1458-1521), Das Narrenschiff (La Nef des fous), Bâle, 1494.

1510 : Sodalitas Literaria Argentinensis, fondée par Jacques Wimpheling (1540-1528), Sébastien Brant et Jean Geiler de Kaysersberg (1445-1510).

1516 : Johann Froben (vers 1460-1527) publie à Bâle l’édition du Nouveau Testament en grec préparée par Érasme (†1536, Bâle).

1522 : Johannes Grüninger (1455 ?-1531) publie à Strasbourg « Le Grand Fou luthérien » (Von dem groszen Lutherischen Narren), de Thomas Murner (1475-1537) ; Johann Schott (1477-1550 ?) publie des « Sermons » de Luther (Postil oder Uszleg der Epistel und Evangelien durch den Advent), orné d’un portrait du réformateur par Hans Baldung Grien (1484-1545).

1523/4 : adoption de la Réformation à Strasbourg.

1524/25 : Guerre des paysans.

1529 : adoption de la Réformation à Bâle .

1538 : Jean Sturm (1507-1589) fonde le « Gymnase » à Strasbourg.

1543 : Johannes Oporinus (1507-1568) publie à Bâle le De humanis corporis fabrica libri VII d’André Vésale (1514-1564).

1547 : mort de l’humaniste Beatus Rhenanus, né en 1485, qui lègue la totalité de sa bibliothèque à sa ville natale Sélestat, siège d’une prestigieuse école latine.

1555 : diète d’Augsbourg et paix religieuse dans le Saint Empire.


À lire pour aller plus loin :

Frédéric Barbier, L’Europe de Gutenberg : le livre et l’invention de la modernité occidentale, Paris, 2006.

Id., Histoire d’un livre : la « Nef des fous », Paris, 2018.

Georges Bischoff, Le siècle de Gutenberg : Strasbourg et la révolution du livre, Strasbourg, 2018.

Christine Christ-Von Wedel (dir.), Sven Grosse (dir.), Berndt Hamm (dir.), Basel als Zentrum des geistigen Austauschs in der frühen Reformationszeit, Tübingen, 2014.

Georges Livet (dir.), Francis Rapp (dir.), Histoire de Strasbourg, Toulouse, 1987.