Les couvents des Ordres Mendiants en Alsace : chefs-d’œuvre de l’architecture et de la peinture

Les ordres mendiants se sont implantés dans des espaces urbains en plein essor et dès le XIIIe siècle, les couvents étaient nombreux en Alsace. Dans cette région dépendant de la Teutonie, le premier couvent dominicain est celui de Strasbourg dès 1224. A Colmar, celui d'Unterlinden est fondé autour de 1230 par deux nobles veuves. L’église composée d’une nef charpentée et d’un chœur polygonal voûté a été érigée entre 1262 et 1269, son chœur ayant été consacrée par Albert le Grand. Le couvent deviendra un haut lieu de la mystique rhénane. Le couvent fut fermé en 1790 et abrita une caserne jusqu'en 1846, avant d’accueillir le musée Unterlinden en ses murs. Désormais, les constructions gothiques se conjuguent subtilement avec l’architecture contemporaine de Herzog et de Meuron. L’ancienne église est devenue l’écrin du célèbre retable d'Issenheim de Matthias Grünewald, chef-d'œuvre des collections du musée.

Non loin de là, l’église des Dominicains a été commencée à la fin du XIIIe siècle. La nef, longue de six travées, est séparée de collatéraux presque aussi hauts qu'elle par des arcades très aigues et très élevées qui reposent sur des colonnes. L'ensemble, qui s'apparente à une église-halle, est charpenté. Un arc triomphal ouvre sur le chœur beaucoup plus étroit et très allongé. D’une grande sobriété, l’édifice conserve aujourd’hui le célèbre retable La Vierge au buisson de roses de Martin Schongauer de 1473, dont on ignore la destination initiale. A la fin du XVe siècle, l’église accueillait le fameux retable des Dominicains de l’atelier de Schongauer, transféré au Musée d’Unterlinden.

Après un incendie en 1458, le cloître a été reconstruit et orné de peintures murales autour de 1480-1490 par un élève de Martin Schongauer, Urbain Hutter. Il s’agit d’un cycle de la Passion dont on peut encore voir plusieurs scènes et qui devait à l’origine occuper l’ensemble de l’espace. Des fragments d’un décor en grisaille datant probablement de la fin du XVIe siècle sont également conservés dans le cloître.

Au sein de cette ville de Colmar, l’ancienne église des Franciscains, aujourd’hui temple Saint-Matthieu, témoigne d’une même sobriété dans son architecture. On suppose que les Frères mineurs se sont installés dans la cité durant la première moitié du XIlle siècle. Un premier édifice semble avoir été érigé dès le second quart du siècle, des fouilles ayant permis d'observer les vestiges de cette église primitive. Un nouvel édifice, de dimensions beaucoup plus importantes, a été entrepris à partir de 1292 et n'a été achevé qu'au milieu du XIVe siècle. Cette église se distingue par sa polychromie architecturale couvrant l’ensemble des surfaces. Quelques vestiges du décor du XIVe siècle sont conservés à titre de témoins et le décor plus largement préservé du XVIe siècle a été reconstitué dans l’ensemble de l’édifice avec un faux appareil aux tonalités roses imitant le grès.

Enfin à Guebwiller, les Dominicains, s’installant officiellement dans la ville le 10 avril 1294, ont construit au XIVe siècle un couvent dont l’église présente un ensemble exceptionnel de peintures murales des XIVe aux XVIIIe siècles dans la nef et les bas-côtés mais aussi sur le jubé. Le couvent, rebaptisé les Dominicains de Haute-Alsace, abrite aujourd’hui un Centre Culturel de Rencontre, exploitant la beauté de son cloître et l’acoustique exceptionnelle de l’église, animé par un projet artistique autour des musiques, en lien avec les arts numériques.

Image: Musée d'Unterlinden Colmar. Crédit : Taxarchios228.

Votre conférencière :

Anne Vuillemard-Jenn est docteur en histoire de l’art, enseignante et chercheur indépendant. Membre du Groupe de Recherches sur la Peinture Murale, elle poursuit des recherches sur la polychromie architecturale et la peinture monumentale.

Les dates à retenir :

1215 : en pays albigeois, Dominique de Guzman fonde l’ordre des Dominicains pour contrer le succès de l’hérésie cathare.

1221 : rédaction de la première règle des frères mineurs par saint François d'Assise.

Première moitié du XIIIe siècle, installation des Franciscains à Colmar.

Autour de 1230 : fondation du couvent d’Unterlinden à Colmar.

1245 : les moniales d’Unterlinden demandent leur intégration à l’ordre des Dominicains.

1269 : Albert le Grand consacre le chœur de l’église du couvent des Dominicaines d’Unterlinden.

1853 : le couvent est transformé en Musée Unterlinden.

1260 : à Colmar, une première communauté de frères Dominicains s’installe, en provenance de Strasbourg, Fribourg-en-Brisgau et Bâle.

1283 : la première pierre de l’église des frères Dominicains de Colmar est posée par Rodolphe de Habsbourg.

1951 : le cloître et le couvent des Dominicains deviennent le siège de la Bibliothèque de la Ville de Colmar.

1292 : l’église actuelle est entreprise.

1575 : l’église des Franciscains de Colmar est affectée au culte protestant.

1294 : les Dominicains s’établissent à Guebwiller.

À lire pour aller plus loin :

Roland Recht, L'Alsace gothique 1300-1360 : étude d'architecture religieuse, Colmar, Alsatia, 1974.

Jean-Luc Eichenlaub (dir.), Dominicains et Dominicaines en Alsace. XIIIe-XXe siècle, Actes du colloque de Guebwiller, 1996.

Antoine Gardner, « Le couvent des Dominicains de Guebwiller », dans Congrès archéologique de France. 136e session. Haute-Alsace. 1978, Paris, Société française d'archéologie, 1982 (lire en ligne [archive]), p. 249-263.

Juliette Rollier-Hanselmann, « Les peintures murales de l’ancien couvent des Dominicains de Colmar et de l’ancienne pharmacie du Cerf à Strasbourg », dans Ilona Hans-Collas, Anne Vuillemard-Jenn, Dörthe Jakobs, Christine Leduc-Gueye (dir.), La peinture murale en Alsace au cœur du Rhin supérieur du Moyen Âge à nos jours, Actes du colloque de Guebwiller (2-5 octobre 2019), Caen, Groupe de Recherches sur la Peinture Murale (GRPM), 2023, mis en ligne en février 2023.

Église des Franciscains 1292, église protestante Saint Matthieu 1992 : 700 ans de vie spirituelle d'art et d'histoire : la bibliothèque du Consistoire protestant de Colmar (exposition Colmar, Koïfhus, 1992), BM, Colmar, 1992.