Les figures d'empoisonneuses en Grèce antique

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Le poison a-t-il été, au cours de l’histoire, un moyen d’action typiquement féminin car il permet, à la différence du poignard et autres armes « conventionnelles » utilisées par les hommes, d’agir dans l’ombre ? C’est ce que suggère un ouvrage récent consacrées aux figures d’empoisonneuses, depuis l’Antiquité jusqu’à nos jours : « Le poison, par sa discrétion, sa facilité d’exécution, son efficacité pour qui sait l’employer, sa façon de faire planer le doute malgré de forts soupçons de crime, en fait l’arme favorite des femmes plutôt que des hommes[1]. ». Le constat émis par l’auteur possède un caractère généralisant. Il semble faire écho aux propos tenus par Médée, dans la tragédie éponyme d’Euripide représentée à Athènes en 431 av. J.-C. Au moment de décider de la façon dont elle va se venger de Jason, l’héroïne hésite, puis choisit finalement la solution qu’elle estime la plus efficace et simple : « le mieux est de suivre la voie directe, celle où nous sommes surtout savantes (sophoi), de les [= Créuse et son père Créon] vaincre par les drogues (pharmaka). », Euripide, Médée, 384-385.

L’usage du poison apparaîtrait comme une spécialité des femmes : il serait à la fois le signe de leur faiblesse dans des sociétés dirigées par les hommes et un instrument de lutte contre cette domination masculine. Il s’agira alors d’examiner les modalités de cette association entre femmes, poisons et pouvoir, telle qu’elle est culturellement construite chez les Grecs et les Romains. Nous nous demanderons notamment si les empoisonneuses qui ont laissé leur nom dans l’histoire, depuis l’Antiquité comme Olympias, Livie ou Agrippine, peuvent apparaître comme les héritières de figures mythologiques de magiciennes, au premier rang desquelles figure Circé. Nous l’examinerons comme un préambule car c’est bien de cette figure initiale que nait l’archétype qui hérite de ses dons et de ses maléfices, Médée. La fille du roi de Colchide constitue la première « empoisonneuse » célèbre et inaugure en quelque sorte une longue série de reines vénéneuses. Elle est bien connue des Grecs et des Romains et a continué à stimuler l’imaginaire moderne et contemporain. Nous tenterons de déterminer dans quelle mesure de prototype que représente Médée a pu orienter le traitement de cas historiques chez les auteurs anciens et d’analyser la trace qu’elles ont laissée dans la mémoire collective en revenant sur les origines de la mauvaise réputation dont elles sont créditées.


[1] B. de Castelbajac, Histoires d’empoisonneuses d’hier à aujourd’hui, Paris, Michel de Maule, 2010, p. 9.


Votre conférencière :

Lydie Bodiou est maître de conférences d’histoire grecque à l’université de Poitiers, elle appartient au laboratoire HERMA (Hellénisation et romanisation dans le monde antique), EA 3811. Ses travaux portent sur l’histoire des femmes et du genre dans l’Antiquité grecque, particulièrement sur l’histoire du corps, de la médecine et des sensibilités. Elle a notamment publié Diplômée Les crimes passionnels n’existent pas, avec F. Chauvaud et A. Sanesid, Editions d’une rive à l’autre, Paris, 2021 ; Liens saccagés. Commet parler des violences familiales ?, avec F. Chauvaud et M.-J. Grihom, Rennes PUR, 2021 ; Dictionnaire du corps dans l’Antiquité, Rennes, PUR, 2019 avec V. Mehl ; On tue une femme. Le féminicide, histoire et actualité, Paris, Hermann, 2019 avec F. Chauvaud et al. ; Une femme sur trois. Les violences faites aux femmes d’hier à aujourd’hui, Poitiers, Éditions Atlantique, 2019 (avec F. Chauvaud, M.-J. Grihom et H. Morel) ; L’Antiquité écarlate. Le sang des Anciens Éco, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2017 (avec V. Mehl) ; Le corps en lambeaux. Violences sexuelles et sexuées faites aux femmes Rennes, PUR, 2016 (avec F. Chauvaud, L. Gaussot, M.-J. Grihom).


Les dates à retenir :

431 av. J.-C. : représentation de la tragédie d'Euripide à Athènes


vers 375 av. J.-C. : Naissance d'Olympias

357 av. J.-C. : Olympias épouse le roi de Macédoine Philippe II

356 av. J.-C. : Elle donne naissance à Alexandre le Grand

316 av. J.-C. : Mort d'Olympias


30 janv. 58 av. J.-C. : Naissance de Livia Drusilla

17 janv. 38 av. J.-C. : Elle épouse Octavien qui deviendra Auguste

29 apr. J.-C. : mort de Livia


6 nov. 15 : Naissance d'Agrippine

28 : Elle épouse Cneius Domitius Ahenobarbus

37 : Elle donne naissance à Néron

49 : Elle épouse l'Empereur Claude

13 octobre 54 : Agrippine fait empoisonner Claude et son fils est proclamé Empereur

21 mars 59 : Mort d'Agrippine


A lire pour aller plus loin :

Lydie Bodiou, F. Chauvaud et M. Soria (dir.), Les vénéneuses. Figures d’empoisonneuses de l’Antiquité à nos jours, Rennes, PUR, 2015.

Frank Collard, Pouvoir et poison. Histoire d’un crime politique de l’Antiquité à nos jours, Paris, Seuil, 2007.

Bernadette de Castelbajac, Histoires d’empoisonneuses d’hier à aujourd’hui, Paris, Michel de Maule, 2010.


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Lydie Bodiou
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