L‘Aubette de Strasbourg : « la chapelle Sixtine de l’art moderne »
Construit au XVIIIe siècle à Strasbourg par Jean-François Blondel, architecte du roi, le bâtiment de l’Aubette était à l’époque une construction militaire bordant une vaste place. Il contenait un corps de garde, la Chambre des logements militaires et la Chambre de la Maréchaussée. Au XIXe siècle, les militaires doivent partager les lieux avec un café couvert et un musée municipal de peinture. Lors d’un bombardement en 1870, le bâtiment brûle avec toutes ses collections de peinture. Entre 1873 et 1875, il est en grande partie reconstruit même si la façade est conservée avec quelques ajouts et la transformation de la toiture. Entre 1926 et 1927, Hans Arp, Sophie Taeuber Arp et Theo van Doesburg vont concevoir, à l’initiative des mécènes strasbourgeois les frères Horn, un complexe de loisirs baptisé avec emphase la « Sixtine de l’art moderne ». Ces trois artistes appartenaient alors aux cercles internationaux de l’avant-garde de l’entre-deux-guerres. Theo van Doesburg est appelé à Strasbourg par Hans Arp et Sophie Taeuber-Arp pour réaliser avec eux cet espace novateur. Il définit les lieux comme une œuvre d’art total mettant en application les principes du mouvement De Stijl fondé avec le peintre Piet Mondrian. À son inauguration en 1928, l’Aubette comprend quatre niveaux, en rupture complète avec ce qui existe alors à Strasbourg et dans une large région.
Aujourd’hui, seul le premier étage de l’ancien complexe a été restitué mais l’escalier, le foyer-bar, la salle des fêtes et le ciné-bal témoignent de la qualité de cette réalisation. Célèbre dans le monde entier, elle a pourtant été supprimée avant la Deuxième Guerre mondiale et remplacée par une décoration sans grand intérêt. Parmi les espaces détruits, on trouvait, au sous-sol, le bar américain et le caveau-dancing avec cabaret, décorés par Arp de formes souples, d’inspiration biomorphique, s’opposant au caractère géométrique des autres décors. Au rez-de-chaussée, l’aménagement du café-brasserie et du restaurant était dû à van Doesburg, tandis que Sophie Taeuber-Arp avait décoré un salon de thé-pâtisserie et l’Aubette-bar.
La prise de conscience de l’importance considérable de ce décor a permis une restitution de certaines parties illustrant les propos de Theo van Doesburg : « la couleur est le moyen élémentaire de l’expression architecturale ».
Image : Claude Truong-Ngoc
Votre conférencière :
Anne Vuillemard-Jenn est docteur en histoire de l’art, enseignante et chercheur indépendant. Membre du Groupe de Recherches sur la Peinture Murale, elle poursuit des recherches sur la polychromie architecturale et la peinture monumentale.
Les dates à retenir :
1765-1778 : construction de l’Aubette.
24 août 1870 : l'Aubette et son musée sont détruits par un incendie.
1877 : la reconstruction de l’édifice est achevée.
1883 : naissance de Theo van Doesburg à Utrecht.
1886 : naissance de Hans Arp à Strasbourg.
1889 : naissance de Sophie Taeuber à Davos.
Autour de 1920 la place Kleber autrefois excentrée devient un nouveau cœur de la ville.
17 février 1928 : inauguration du complexe de loisirs L’Aubette.
1985 : les salles de l’étage sont classées Monuments historiques.
1994 : achèvement de la restauration du Ciné Bal.
2006 : achèvement de la deuxième phase de restauration avec la Salle des fêtes et le Foyer.
À lire pour aller plus loin :
Emmanuel Guigon, Hans van der Werf, Mariet Willinge (dir.), L'Aubette : ou la couleur dans l'architecture : une œuvre de Hans Arp, Sophie Taeuber-Arp, Théo van Doesburg, Musées de Strasbourg, Strasbourg, 2006
Couleurs premières : une utopie moderniste de Theo van Doesburg, Jean Arp et Sophie Taeuber-Arp, Le Cabinet de l’amateur, 14, 2016.
Evert van Straaten, Theo Van Doesburg, peintre et architecte, Paris, Gallimard, 1993.
Serge Fauchereau, Arp et Taeuber, Paris, Éditions des Cendres, 2014.