Charles VII (1403-1461) et l’unité de la France : du roi de Bourges au roi de la victoire
Charles VII, roi emblématique de la guerre de Cent ans ou monarque bousculé par les accidents de l’histoire ? Sa personnalité en demi-teinte et les désastres nés des guerres amènent à considérer Charles de Valois, qui n’aurait pas dû être roi et qui fut si rapidement déshérité, comme un souverain victime de l’histoire. Son rôle dans la victoire française lors de la guerre de Cent ans a pu être édulcoré au profit de grands capitaines comme Dunois ou Arthur de Richemont, sans parler de Jeanne d’Arc. Au sein de la dynastie des Valois médiévaux, Charles VII n’a pas dans l’imaginaire collectif le machiavélisme formidable de Louis XI, « l’universel araigne », auquel on reconnaît une place éminente dans le renforcement de l’État royal. Il n’a pas non plus l’aura accordée au sage roi Charles V, restaurateur de la puissance française après les affres de la peste et des défaites.
Pourtant, le règne de Charles VII n’a rien à envier à l’un comme à l’autre. Il faut lui reconnaître le mérite d’avoir imposé l’autorité et la légitimité des Valois en un temps où elles étaient fondamentalement contestées, pour la transcrire dans une suite de victoires déterminantes assurant la fin de la guerre de Cent ans. Mais Charles VII n’est pas qu’un roi faiseur de paix. C’est aussi un réformateur qui poursuivit les efforts de réorganisation du royaume entamés par ses successeurs. La reconstruction de la France fut permise par le maintien de l’ordre public et d’un sentiment de cohésion ou d’appartenance à la France que le monarque réussit à prémunir des malheurs secouant le pays.
La conférence, intégrée à un cycle sur les crises et défaites de la guerre de Cent ans, nous amènera ainsi à réfléchir sur la place jouée par Charles VII dans le maintien de l’unité de la France et dans sa pacification au XVème siècle.
Votre conférencier :
Professeur d’histoire du Moyen Âge en Classes préparatoires à l’École nationale des Chartes, Loïc Cazaux est docteur en histoire médiévale de l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne et agrégé d’histoire. Il est spécialisé dans l’histoire de la guerre et du pouvoir royal à la fin du Moyen Âge. Il a publié différents ouvrages et articles sur les armées et les combattants, le droit de la guerre et la justice, les institutions monarchiques, les confrontations entre les pouvoirs au Moyen Âge.
Les dates à retenir :
1403 : naissance à Paris de Charles de Valois, futur Charles VII, fils du roi de France Charles VI et de la reine Isabeau de Bavière. Il est précédé dans l’ordre de succession au trône par trois dauphins, ses frères aînés, qui mourront tous avant lui : Charles de France (1392-1401), Louis de Guyenne (1397-1415) et Jean de Touraine (1398-1417). Dès l’enfance, Charles est fait comte de Ponthieu.
1407 : l’assassinat du duc Louis d’Orléans, oncle de Charles, fait dérailler le royaume dans la guerre civile. Celle-ci oppose les Bourguignons, qui ont commandité l’assassinat et sont menés par le duc Jean sans Peur, et les « Armagnacs » - du nom du beau-père du fils et successeur de Louis, Charles d’Orléans : le connétable Bernard d’Armagnac.
1414 : le roi d’Angleterre Henri V de Lancastre revendique la Couronne de France et relance la guerre. Charles de Valois est emmené hors de Paris et protégé par la duchesse d’Anjou, Yolande d’Aragon. Il a été marié dès 1413 à Marie d’Anjou, fille de Yolande et du duc Louis II d’Anjou, également comte de Provence et roi titulaire de Naples. Le frère de Marie, René d’Anjou, est donc le beau-frère de Charles VII.
1415 : Henri V débarque avec son armée en Normandie puis inflige la défaite d’Azincourt aux Français (25 octobre). Le royaume sombre dans la crise.
1416 : mort sans héritier du duc Jean de Berry, grand-oncle de Charles. Son apanage revient à la Couronne et profite au futur Charles VII.
1417 : Charles devient dauphin à la mort de son frère, Jean, qui avait lui-même succédé à son précédent frère Louis mort en 1415. Charles VI étant incapable à cause de ses crises de folie, le dauphin Charles tâche de s’imposer comme chef du conseil de régence. Il reçoit l’héritage du défunt duc Jean de Berry, et devient duc de Berry, comte de Poitiers, ce qui lui donne un ensemble de fiefs stratégiques autour de la Loire.
1418 : Henri V conquiert le duché de Normandie. À Paris, les Bourguignons prennent le contrôle du gouvernement. Le dauphin se replie à Bourges. On le moquera ensuite comme « roi de Bourges ».
1419 : lors de l’entrevue de Montereau, le dauphin Charles fait assassiner le duc de Bourgogne Jean sans Peur pour venger le meurtre de son oncle Louis d’Orléans en 1407.
1420 : le traité de Troyes négocié avec les Anglais par Isabeau de Bavière et Philippe le Bon, fils du duc de Bourgogne Jean sans Peur, déshérite le dauphin Charles (21 mai). Sa fille Catherine épouse Henri V, qui doit devenir roi de France et d’Angleterre. La France des Valois apparaît au fond du gouffre.
1422 : mort d’Henri V puis de Charles VI. Le dauphin Charles se proclame roi de France mais ne peut reprendre le contrôle de Paris. Il installe le Parlement à Poitiers et la chambre des Comptes à Bourges. Outre le Berry, le Poitou, la Touraine, l’Anjou, l’Auvergne, Charles VII obtient l’allégeance du Limousin, de la Saintonge et de l’Aunis, du Bourbonnais, du Maine, du Lyonnais, du Dauphiné, du Languedoc, du Quercy et Rouergue. La Bretagne s’allie également à lui. En 1425, le futur duc de Bretagne Arthur de Richemont devient connétable de France. Mais le nord du royaume, en particulier le Bassin parisien, est sous contrôle anglais et bourguignon.
1429 : après avoir quitté Domrémy et rencontré Charles VII à Chinon, Jeanne d’Arc parvient le 8 mai à faire lever le siège mis par les Anglais devant Orléans. L’avancée anglaise est stoppée sur la Loire. Le 17 juillet, Charles VII est sacré à Reims à l’issue de la « chevauchée du sacre », qui lui permet de reconquérir une bonne partie de la Champagne, jusqu’alors placée sous domination anglo-bourguignonne. Il est pleinement reconnu roi de France. Le sacre du jeune roi anglais Henri VI à Paris en 1431, comme roi de France et d’Angleterre, ne modifie pas véritablement cet état de fait. Ensuite, la reconquête des territoires au nord de la Loire s’opère difficilement, affaiblissant néanmoins les Bourguignons alliés aux Anglais.
1431 : procès et supplice de Jeanne d’Arc à Rouen, qui a été capturée en 1430 par les Bourguignons à Compiègne.
1435 : le duc de Bourgogne Philippe le Bon fait la paix avec Charles VII lors du traité d’Arras (21 septembre) : fin de la guerre civile. Les positions françaises se renforcent dans le Bassin parisien grâce au connétable Arthur de Richemont. Paris est repris en 1436.
1438 : la Pragmatique sanction de Bourges favorise le développement du gallicanisme et fait du roi, gardien des droits de l’Église de France face au pape, l’autorité à même de faire les candidats aux élections épiscopales et abbatiales.
1439 : lors de la réunion des états à Orléans, Charles VII promulgue une ordonnance de réforme du royaume. Le roi reprend en main l’armée en imposant la discipline militaire pour diminuer les pillages. Le pouvoir royal dispose de la seule autorité permettant de décider des conditions d’usage de la force armée dans le royaume. Charles VII impose également la supériorité de la taille royale sur la taille seigneuriale, pour financer l’armée. On peut parler d’un « monopole » de l’impôt et de la guerre revendiqué par le roi de France.
1440 : la révolte princière de la Praguerie, bien que matée rapidement par Charles VII, montre l’insubordination du jeune dauphin Louis, qui en est l’un des chefs. En 1447, Louis se replie sur le Dauphiné et reste en exil jusqu’à la mort de son père.
1441 : prise de Pontoise par Charles VII, ce qui prépare la reconquête de la Normandie.
1445 : grâce à son ordonnance sur les compagnies et les capitaines, le roi de France réorganise son armée, qui devient professionnelle et permanente.
1449 : Charles VII rentre dans Rouen.
1450 : la bataille de Formigny (15 avril) assure aux Français la maîtrise totale de la Normandie, au détriment des Anglais.
1453 : avec la bataille de Castillon (17 juillet), le duché d’Aquitaine est conquis par les Français. La chute de la Guyenne anglaise met fin à la guerre de Cent ans. Charles VII est surnommé « le victorieux », comme l’indique son portrait, fait par Jean Fouquet.
1454 : l’ordonnance sur la rédaction des coutumes promulguée par Charles VII illustre le travail de réorganisation des institutions monarchiques et de reconstruction du royaume dans lequel le roi s’investit.
1456 : réhabilitation de Jeanne d’Arc après un procès en nullité ordonné par Charles VII.
1461 : Charles VII meurt à Mehun-sur-Yèvre. Il est inhumé à Saint-Denis. Son fils Louis XI lui succède.
À lire pour aller plus loin :
Loïc Cazaux, Atlas des guerres au Moyen Âge. Occident, Byzance et Orient du Ve au XVe siècle, Paris, Autrement, 2024.
Loïc Cazaux, Les capitaines dans le royaume de France. Guerre, pouvoir et justice, Paris, Honoré Champion « Histoire & Archives », 2 vol., 2022.
Philippe Contamine, Charles VII. Une vie, une politique, Paris, Perrin, 2017.
Philippe Contamine, Olivier Bouzy, Xavier Hélary, Jeanne d’Arc. Histoire et dictionnaire, Paris, Robert Laffont, 2012.
Jean Favier, La guerre de Cent ans, Paris, Fayard, 1980.
Claude Gauvard, Jeanne d’Arc. Héroïne diffamée et martyre, Paris, Gallimard, 2022.