LA GUERRE DE SUCCESSION D'ESPAGNE, FIN TRAGIQUE DU GRAND SIÈCLE
« Messieurs, voici le roi d’Espagne ». Le 16 novembre 1700, Louis XIV annonce à ses courtisans stupéfaits qu’il a accepté que son petit-fils, le duc d’Anjou, devienne le nouveau roi d’Espagne. Cette décision est conforme au testament du défunt roi Charles II, mais elle est risquée, et Louis XIV le sait. La France est la première puissance militaire du Continent. La monarchie espagnole, quant à elle, est exsangue, mais elle est à la tête d’un empire mondial « sur lequel le soleil ne se couche jamais ». L’Europe, qui se méfie du Roi-Soleil, va-t-elle accepter l’alliance de ces deux géants ?
Les deux rois Bourbons vont rapidement se trouver face à une vaste coalition d’États, dirigés par l’Angleterre, la Hollande, et par l’Empereur – qui revendique la cession de la couronne espagnole à son propre fils cadet. La France dispose alors de la plus forte armée d’Europe, invaincue depuis plus d’un demi-siècle, d’une position centrale, et d’une direction stratégique unifiée. Mais elle sortie financièrement épuisée des conflits précédents et doit reculer sur tous les fronts. Les Français abandonnent successivement leurs positions en Allemagne, aux Pays-Bas espagnols (la Belgique actuelle), en Italie ; même Madrid est un temps perdue. Les troupes de Marlborough, le capitaine général anglais, et du prince Eugène, un Français passé au service de l’Empereur, triomphent partout.
Commence alors, pour la France comme pour son roi, la pire des épreuves. Les courtisans se déchirent ; à Paris, on raille le roi et son entourage ; les camisards se soulèvent. Avec le Grand Hiver de 1709, la famine s’abat sur tout le royaume. Les Alliés croient alors venu le temps de la revanche : ils exigent que Louis XIV abandonne toutes les conquêtes de son règne. Celui-ci n’est pas loin de céder. Et pourtant, dans un dernier effort, le royaume tient. À Malplaquet, la même année, l’armée française redresse la tête ; faute de succès militaire, l’Alliance commence à se fissurer. L’Angleterre est la première à se retirer du conflit. La victoire du maréchal de Villars à Denain, le 24 juillet 1712, sauve la France de l’invasion.
La guerre de Succession d’Espagne représente l’une des pires catastrophes militaires de l’histoire de France, mais aussi l’une de ses résiliences les plus spectaculaires. Cette conférence étudiera non seulement les origines et le déroulement du conflit, mais aussi les racines de la défaite et les ressorts du sursaut qui permet de conserver les frontières du royaume. Elle expliquera aussi en quoi ce conflit a façonné l’Europe moderne et contemporaine : le Royaume-Uni s’y assure le contrôle des mers ; la Prusse et la Savoie y gagnent un statut de puissance, préfigurant les unités allemandes et italiennes ; l’Écosse, la Catalogne et la Hongrie perdent leur autonomie. Un roi Bourbon, enfin, s’installe sur le trône d’Espagne.
Votre conférencier :
Clément Oury, diplômé de l’École des Chartes et docteur de l’université de Paris-Sorbonne, est directeur-adjoint de la bibliothèque du Muséum national d’histoire naturelle. Spécialiste reconnu de l’histoire des guerres d’Ancien Régime, il a notamment publié La guerre de Succession d’Espagne (Tallandier, 2020) et Le duc de Marlborough : John Churchill, le plus redoutable ennemi de Louis XIV (Perrin, 2022).
Les dates à retenir :
1er novembre 1700 : mort de Charles II, roi d’Espagne, qui lègue sa couronne à Philippe d’Anjou, petit-fils de Louis XIV.
15 mai 1702 : déclaration de guerre de la Grande Alliance (qui réunit l’Angleterre, la Hollande et l’Empereur) à la France et à l’Espagne.
13 août 1704 : à Blenheim, le prince Eugène et le duc de Marlborough écrasent l’armée française, mettant fin à sa réputation d’invincibilité. La Bavière, alliée de la France et de l’Espagne, est envahie.
9 octobre 1705 : conquête de Barcelone par l’archiduc Charles, prétendant Habsbourg au trône d’Espagne.
1706 : « annus mirabilis » pour les Alliés, qui sauvent Barcelone (mai), conquièrent les Pays-Bas espagnols (mai-octobre) et s’emparent de l’Italie du nord après la levée du siège de Turin (septembre).
8 décembre 1708 : prise de Lille par Eugène et Marlborough. La France est envahie.
Mai 1709 : lors de discussions de paix à La Haye, les Alliés exigent de Louis XIV qu’il s’engage à leurs côtés contre Philippe V. Refus de Louis XIV.
11 septembre 1709 : sanglante bataille de Malplaquet. Les Anglais commencent à se lasser d’un conflit perçu comme coûteux et inutile.
10 décembre 1710 : avec la victoire de Vendôme à Villaviciosa, Philippe V reconquiert définitivement la Péninsule ibérique.
11-12 avril 1713 : paix d’Utrecht entre la France et la plupart des Alliés. La guerre continue contre l’Empereur jusqu’à la signature du traité de Rastatt entre la France et l’Empereur (6 mars 1714).
A lire pour aller plus loin :
Winston Churchill, Marlborough : sa vie et son temps, Paris, R. Laffont, 4 vol., 1949-1951.
Fadi El Hage, Le maréchal de Villars - L'infatigable bonheur, Paris, Belin, 2012.
John Lynn, Les guerres de Louis XIV, Paris, Perrin, 2014.
Clément Oury, La Guerre de Succession d'Espagne : La fin tragique du Grand Siècle, Paris, Tallandier, 2020.