Scandales artistiques, entre rupture et provocation
Dès l’instant où des artistes ont voulu avec leur pratique, renouveler la représentation du réel, accompagner, voire encourager les changements sociétaux, interroger le rôle de l’art et la place de l’artiste, ils se sont heurtés aux habitudes artistiques, aux règles académiques, à la bienséance et du bon goût. Nous avons sans doute du mal à concevoir la violence des controverses et affrontements entre traditionnels et modernes qui se sont élevés face aux voluptueuses baigneuses de Gustave Courbet, aux danseuses peu gracieuses d’Edgar Degas ou aux audaces stylistiques de Paul Gauguin. Comme les caricatures paraissant dans les journaux de l’époque, ces œuvres affirmaient une modernité nouvelle et critique qui suscita à son tour quelques canulars retentissants.
Au cours du 20ème siècle, la remise en question des conventions artistiques va peu à peu déconstruire tous les schémas établis jusqu’à instituer la provocation comme levier essentiel de la création. À la fin du siècle, les techniques, les sujets, les approches visent à susciter l’étonnement, le choc, la réaction quelle qu’elle soit. C’est dans cette absence d’interdit que l’art affirme sa liberté et sa volonté de faire vivre une expérience au spectateur. C’est également en se heurtant à la censure qu’il la rend manifeste ainsi que son désir d’expression libéré de toute propagande. La dimension de provocation sous-entend la confrontation de l’approche artistique avec des manières de voir et de concevoir, et avec des volontés d’établir des règles.
Image : La Nona Ora (1999), photo Mark B. Schlemmer.
Votre conférencière :
Nathalie Douay est historienne de l'art et conférencière nationale.
Les dates à retenir :
1830 : charte abolissant la censure dans les journaux qui favorisa les années suivantes la parution des journaux satirique La Caricature et Le Charivari.
1863 : ouverture du Salon des Refusés en marge du Salon officiel où deux tiers des œuvres proposées n’avaient pas été admis.
1874 : exposition indépendante de la Société des Artistes peintres, sculpteurs et graveurs à laquelle les mots sarcastiques du critique Louis Vauxcelles vaudront le surnom d’Impressionniste.
1917 : Marcel Duchamp se voit refuser la présentation de l’urinoir Fountain à l’exposition de la Société des Artistes Indépendants à New York.
1915-1923 : création de foyers du mouvement Dada à Zurich, New York, Berlin et Paris qui sera prolongé par l’apparition du Surréalisme.
1947 : Jackson Pollock réalise ses premières œuvres par dripping.
Les années 1960 sont marquées par les expositions et performances des artistes du pop Art américain et des Nouveaux Réalistes en France.
1997 : exposition Sensation à la Royal Academy de Londres de la Young British Artists définissant un art contemporain ouvert à tous matériaux et tous procédés dans la transgression permanente des limites.
2000 : exposition Fuck off de Ai Weiwei ouvrant la voie à un art de la provocation comme expression d’une liberté politique.
À lire pour aller plus loin :
Pierre Cabanne, Le scandale dans l’art, Éditions de la différence, 2007.
Karim Ressouni-Demigneux, Stéphane Guégan et Thomas Schlesser, Les grands scandales de l’histoire de l’art. Cinq siècles de ruptures, de censures et de chefs d’œuvre, Beaux-Arts Éditions, 2008.